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Michel Baglin : poèmes et autres textes

Poèmes de Michel Baglin pour André Campos Rodriguez

 

 

Dans le vide

 

Il m’avait dit : dans six mois

c’en sera fini de moi

et de mon cancer.

Il voulait que j’aille le voir

dans sa montagne, là-bas.

Il voulait me donner ses livres

avant le grand voyage.

 

Passant par là il y a peu,

j’ai appelé, voulant m’arrêter,

mais ce jour-là, il n’y était pas.

Peut-être l’avait-on conduit à l’hôpital,

Peut-être était-il assommé de médicaments,

ou si occupé à tromper la solitude

en tête-à-tête avec sa bibliothèque

que plus rien ne pouvait l’atteindre...

Comment savoir ? Il m’avait dit aussi

qu’il n’avait plus ni famille

ni amis sur qui compter.

 

Je n’y suis pas retourné. Bêtement,

j’ai laissé passer le temps.

Mais à plusieurs reprises depuis

j’ai tenté de l’appeler, en vain,

la gorge nouée, imaginant là bas

le téléphone qui sonne

dans une maison vide.

Et c’était un peu comme si j’avais,

silencieuse,

la mort au bout du fil.

 

***

 

Retour du Marché de la poésie

 

Je suis dans le train du retour et me demande qui  je n’ai pas salué, et me demande si j’aurais bien témoigné mon affection vive à ceux-là mêmes que j’étais si joyeux de retrouver.

Trop de monde et trop de chaleur, trop de livres et de propos croisés m’auront fait rebondir en surface, surfer sur l’amitié.

Oui, trop de bruit et trop d’agitation, trop d’insignifiants bavardages font écran autour de nous et nous privent du souffle des paroles qui touchent, des gestes qui respirent, du temps qui ouvre ses corolles de sourires…

Tellement que je me demande si on ne s’est pas quitté sans se dire au-revoir, si on ne s’est pas perdu on ne sait où ni comment dans la foule des ferveurs…

Depuis les vitres de mon tgv, je suis au spectacle, je m’éloigne et me sens coupé du monde. Le vent n'est plus qu'un arbre ébouriffé.

 

***

 

 

Homme de plain-pied

A Yves Rouquette, IM.

 

Il était le maître du feu en grillant les sardines

comme en éclairant de l’intérieur les dieux premiers,

quand il sondait les vertiges et ferveurs

qui créèrent les statues-menhirs

du rougier de son village de Camarès.

Et cette déité incertaine pétrie de vie élémentaire,

nourrie d’une faim d’herbe et de chair

et de la joie amère d’exister,

trouvait sens et vigueur dans sa voix rugueuse

d’homme d’Oc et de chrétien buissonnier.

Il aimait Marie et leurs chemins d’œuvres entrelacées,

reconnaissant en elle la femme

qui pousse vers plus de clarté.

Il allumait un œil malicieux pour écouter les amis

autour des tables où se partagent avec le vin

les histoires cocasses des vivants douloureux.

A l’âge où l’on a la joue râpeuse des grands-pères

et pris la pleine mesure

de l’innocence et de la cruauté,

il mêlait de plain-pied avec les bêtes, le foirail et la glèbe,

le verbe qui roumègue au poème qui répète

un hymne désespéré de merci et de louange.

Son sourire lumineux disait la tendresse de qui

accueille avec bienveillance et un rien de fatalité

ce que les jours lui réservent de bon

et sa part parfois de mauvais.

Et la moustache toujours soulignait la moue amusée

de celui qui sait l’indécence totale de tout ce qui vit.

 

Seilh, 2 & 3 février 2015

 

***

 

Lucidité

 

Quand je vois se prosterner les dévots

et qu’impunément se répand

le cynisme

des marchands de crédulités,

je crois entendre mon père répéter

que la lucidité est une douleur.

Alors je pense à Char qui la disait

la blessure la plus rapprochée du soleil,

et je me demande

quelle vie s’en éclaire,

quelle vie s’en meurtrit,

quelle vie en meurt ?

 

Mon père au pays des ombres sait-il

ce qu’il en est, lui qui arrachait

les drapeaux des fenêtres des vainqueurs

au nom de la paix universelle

et pour que la lumière ne brûle pas

leurs illusions une fois encore

quand, une fois encore,

on pourrait voir venir

derrière les flonflons de la der des der

et les danses de fête et les feux

de joie de l’avenir radieux

la première ligne de feu,

la première ligne des soldats

et la cohorte des morts à venir,

le soleil

s’éteignant dans leurs yeux ?

 

***

 

 

Rêve d’aile

 

L'épervier,

c'est le nom du filet

que lance sur la vague

– corps déjeté –

le pêcheur de la côte.

Un chalut de pauvre,

une voile sans mât.

 

L'épervier,

c'est un battement d'air,

une envolée de mailles,

des dentelles de sel

que la lumière défroisse.

 

C'est le rêve d'aile

qu'il déploie,

l'épervier.

Le geste répété,

souvent plus grand que soi.

 

Extrait de « Les Chants du regard » éd. Privat

 

***

    Né en 1950, Michel Baglin est arrivé en région toulousaine en 1962. Après la fac et de nombreux petits boulots, il publie son premier recueil en 1974. Depuis, il pratique l’écriture sous différentes formes : journaliste pendant 35 ans, il a publié près d’une trentaine d’ouvrages : romans, poésie, nouvelles, essais, et a obtenu en 1988, pour « Les Mains nues », le prix Max-Pol Fouchet. Romancier (« Lignes de fuite », « Un sang d’encre », « La Ballade de l’Escargot »), il est aussi l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles, de récits (« Entre les lignes », à La Table Ronde.) d’essais (« Poésie et Pesanteur » et « La Perte du réel ») et de plusieurs recueils poétiques dont « L’Alcool des vents », paru au Cherche-Midi éd, l’album « Les Chants du regard », sur des photographies de Jean Dieuzaide, aux éditions Privat., « De chair et de mots » au Castor Astral ou récemment « Un présent qui s’absente » aux éditions Bruno Doucey. Critique pour différents journaux et revues, il a également créé et animé la revue et les éditions Texture de 1980 à 1990 - devenue depuis une revue en ligne : revue-texture.fr ; espace critique où il  propose, avec une dizaine de collaborateurs réguliers ! des articles, des portraits, des entretiens, des notes de lectures et des dossiers sur des centaines d’auteurs. Mais aussi des documents sonores (chansons) et de nombreuses annonces et infos pratiques. Je vous la recommande vivement ! (http:revue-texture.fr)
Michel Baglin aime la marche, le vagabondage dans les rues, et s’efforce à ce que la vie et l’écriture soient le moins possible dissociées.

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Poésie
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