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Abderrahmane DJELFAOUI : DÉSERTS
Vents de Dakhla
(Un camp de réfugiés sahraoui)
(2002)

 

 

une pleine lune d’encens
lève son crane rasé
 
derrière et devant la solitaire
il n’y a que Sahara d’yeux et silence
 
sous les étoiles je me repose
telle une pierre vie des dieux

 

 

le soleil lève son jour
                      ombre de longue mémoire
où seules les mouches
savent encore faire
différence entre les sables et le remords

 

 
au matin des petites dunes
je vais cherchant trace des jeux
d’un bestiaire invisible
nuitamment arrosé
de subtiles mémoires
 
 
si un vieux chat blanc
vient midi au camp
chercher un mirage d’ombre
graciez-lui le museau
de tous les brûlis d’horizon

 

          
          sous immensité brûlée
brûlante des vents
un troupeau de moutons
noirs
va bêlant
son unique pâtre maigre
absent

 

au 46ème de canicule
passe le songe d’une pluie fine diaprée
lux d’aveuglement

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

A LA HUNE DE NOS MÉMOIRES
 
cette tente en attente
qui sous petit vent entend
doucement crisser ses coins
rappelle d’enfance les jeux babil de songe
 
cette tente en entente des vents
a maintenant sculpté à ses câbles
des camps une nostalgie désuète
mais sereine de grands parents
 
une tente des errances
toute aise de ses tapis empreints
des rencontres frileuses l’hiver
suaves de printemps
 
elle m’égrène de quelques solitudes
tous les contes balancés
à ses vieux mats de jonc
cueillis une nuit d’Afrique
 
car elle seule sait encore gonfler ses toiles
paroles du soir aux vieillards
qui de leurs yeux et de leurs mains
ont béni le sable où elle se tient
 
tente en attente de sa meilleure part
d’amour sait de génération
en génération toujours mûrir tendresse
aux joues rieuses des enfants
 
 

 

 

Dakhla nights sont noires de millions d’étoiles
les scorpions n’y ont d’autres pinces que les lunes
mais l’innombrable des étoiles en perd au moins une :
celle qui vient juste de filer le ciel
d’une seconde de plus d’éphémère

 

les poètes des espaces d’antan sont morts
leurs yeux jusqu’aux sourcils ensablés
mais au plus profond de nous vibre un souvenir
de leurs veines généreuses et tannées

 

 

ici l’ombre sourd de derrière
les espaces d’yeux
vent d’acacia
et lointaines senteurs
au silence
de la brûlure même
du bêlement de brebis brunes

 

***

Ces poèmes ont été publiés pour la première fois dans la revue « 12x2 Poésie contemporaine des deux rives », Alger, Mars 2003.  Puis dans « Le Livre des Déserts », publié sous la direction de Bruno Doucey, Ed. Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 2005. Enfin, un extrait  (A LA HUNE DE NOS MEMOIRES) dans « Poètes des déserts » édité par La Fondation Déserts du Monde, Alger, juin 2006

 

Abderrahmane DJELFAOUI : DÉSERTS
au cœur du désert
(Mai 2004)
 
Tahabort
 
un goût d’eau dans le vent
une fraîcheur de palmes sèches
où l’ombre cuivre le temps
 
soleil couchant je vais
fumer une solitude

 

 

les montagnes se dénudent
dissoudre leurs atours
peu à peu dans le silence
 
l’œil de l’âme
écoute renaître
une terre de noire immensité
 
safran du cœur et d’oreilles
une pierre fait sa prière
vive à la nuit d’étoiles venues

 

                           ***

              
              à  Alamin Khawlen
                  (Dame de l’Imzad)
 
pas de musique
dans l’Ahaggar
que ce crin de cheval
étiré et noué
par lequel tu fais vibrer
immensité de l’oubli
 
sa fine herbe sucée
entre le jour et sa nuit aimée
 

 

                             Sur le mont Assekrem

 

la bûche dans le feu
brûle sa résine
de grande ourse
étinceler d’ultime mémoire
ses flammes

 

flûte de cendres
paume de braises
le feu lèche une nuit tendre
 
infuser à la gorge
thé doucereux
d’une voie lactée
 

 

le sacre du jour

 

l’escadre des pics
sort peu à peu de la brume
et commence à dresser ses vigies
face à l’annonciation
d’une aube de vent neuve
 
un vol immobile de nuages
aspire la dernière ombre
 
la pierre polie par les univers
se prête à la prime ablution
 
le pépiement de l’oiseau
est son talisman

 

 

la magie du rai premier
est de souffler l’invisible nuit
en humer la dernière fumée
 

 

 

loin de toi ce soir

 

mon âme est sous mes pieds
m’en ouvrir les bronches
 
les laisser respirer
l’interstice des étoiles

 

 

Aïnmguel

 

neige lune
que l’ombre de la terre
gomme peu à peu
en son propre ciel
 
c’est l’éclipse

 

 

il est des nuits où
les étoiles tombent
 
il en est où elles sont heureuses
d’être du voyage
de toutes mémoires
 

 

6 heures

 

est l’heure des pieds
dans le sable si frais
entendre psaumes
d’ oiseaux cachés
faire larme
rumeur d’une  pierre

 

à la lumière solaire
paupières étirent
évidence du monde
que je cueille
étonnement de fines ombres

 

***

Ces poèmes ont fait l’objet d’une première publication sur le site de « Sauvez l’Imzad » puis dans « la Revue des Belles Lettres » (RBL) , Suisse, numéro 1-2  , 2005.

 

Abderrahmane DJELFAOUI : DÉSERTS
l’ombre du même
 
 
ouvrir son flanc à la dune
sans plus d’agitation
que méditer le sable
grain à grain
 
avoir toujours été là
depuis l’aube des temps
et par le vide changer l’orient
des vents
 

 

désert
 
par l’ombre matinale
qui glisse aux antipodes
des mers
 
tactile est son ventre du néant
qui travaille
 
à l’éphémère
remodelant le souffle géologique
d’instant en instant
 

 

des hommes
il les épèle pores et
poils
creusant l’écoute prière
au profond
des os
 
 
 
nuage :
 
un invité qui n’oblige pas
mais partage
les roches les sables et vents
à la tente du monde
 

 

De mémoires caravanières
Vos routes de solitudes
Sont infinis gisements d’échanges
 

 

Séguia
 
 
que dira la lune
aux hamadas déchiquetés
 
que dira-t-elle
aux vagues du grand erg
quand de rêves en rêves
les oiseaux iront conter
histoire d’une séguia abandonnée
 
 
Béni Abbès
25 – 10 – 96

 

 

n’est-ce pas
 
étrange que me relire moi-même au désert
sous son impériale lumière
 
d’âge sentir la tristesse de l’éloignement
au proche mouvement des sables
 
qu’un vent fasse songe à ma nuque
alors que la chaleur sang des ancêtres
m’appelle

 

 

à l’autre bout de la planète
il n’y a pas et il n’y aura plus
de coin
 
à l’autre bout perdurera
seulement
un talisman de brume
 
assagi du mirage
friable de l’attente

 

 

que me reste-t-il
déserts
que lumière des sphères
sous l’oreiller

 

Abderrahmane DJELFAOUI : DÉSERTS
Tag(s) : #Poésie
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