Ce qu'il y a à dire du printemps,
le printemps le dit.
Il n'est pas de signes pour rendre
le vide mystérieusement touché.
La croissance s'accorde à son
propre lyrisme.
Pour entendre vraiment, il faut au cœur
plus d'amnésie que d'enthousiasme.
*
La brise annonce des noces
impitoyables.
Il y a une lueur d’apocalypse
dans tout ce qui naît.
L’herbe fait trembler le
néant.
Il est périlleux de ne pas
être jeune.
*
Le babillage des violettes
couvre le redoutable discours
de l'avenir.
Il s'agit de désigner le fruit
qui sera l'étendard de l'espèce.
Toutes les obscurités seront
ouvertes et passées au crible
du désir.
L'eau va forcer les serrures
du sol.
*
Le génie est de rassembler
toutes les ivresses.
Paradoxalement, la mort participe
à ce soulèvement.
L'existence va s'élever
concrètement dans l'inexprimable.
*
On se prépare à un
bonheur acharné.
On va fêter l'instant qui prétend
ne pas mourir.
La tristesse est devenue riche
et la torture digne des plus
fins éloges.
Le coucou se réjouit jusqu'à
l'idiotie.
*
Il faut peu de choses pour
construire lorsque l'on est
sous l'empire de l'irrépressible.
Les fragments les plus éthérés
du paysage ont des ressources
inépuisables.
Le vocabulaire du neuf s'élève
en significations pures et
éternellement précoces.
Il est un temps où l'utopie
repose sur un perce-neige
*
La vie reprend haleine dans
le lilas.
L'illusion est délectable.
On se protège du destin en
mangeant une fraise.
Dans sa douce duplicité, le
coucou tente un timide
avertissement.
*
Il règne une félicité évasive
dont le dessein est de dissimuler.
Dans les airs, il y a un triomphe
étrange que la grâce
d'être neuf rend peu perceptible.
En scrutant l'ombre des bois,
la pervenche sent confusément
qu'un secret est à l'œuvre.
*
Le bouleau émiette la lumière.
L'œil s'émancipe et s'arrête
sur l'épaule de la forêt.
Les sentiers s'épaississent
d'éternités.
*
Ferment du vide, l'absolu
déborde sur l'herbe.
Le pré dispose de cette
faculté aigüe de rapprocher
les sentiments extrêmes.
Une fois de plus, le bon
sens est écarté en faveur
des graminées.
*
La lumière vient d'atteindre
son plus beau jour.
Il se fait un anneau bref et
scintillant autour des arbres
en fleurs.
On n'a pas eu le temps d'être
vraiment neuf.
*
Qui se souviendra que la cerise
fut une fleur ?
Qui dira que l'arbre fut un
bouquet qui dépassa
L'entendement du monde ?
N'est-il pas de tocsin pour
nous avertir de cette mort qui
vient par la beauté ?
***
Les Saisons ; Éditions Labor, Bruxelles 1988 , 228 pages.
Ici sont publiés quelques poèmes extraits de Le Printemps.
Suivront plus tard et successivement des extraits de : L'Été, L'Automne, L'Hiver...