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Gil Jouanard : Michel CHAILLOU


                                        LE SURCOUF DE L’ANGOISSE

  

   A première vue, Michel Chaillou serait assez facilement identifiable à l’un de ces frères de la côte, de forte stature, de voix triomphante et de crinière en majesté. On se dirait que c’est un roc, un cap, une péninsule, parangon de tranquillité et de sérénité.
 

   Eh bien, c’est tout le contraire
 

   Pourtant, du professionnel de l’abordage sabre en main, il n’a pas que la stature et la physionomie. Je me rappelle ce repas au cours duquel il menaça Juan Bennett de son poing noueux parce que l’hidalgo pince sans rire s’était amusé à nous demander : « Au fait, comment cela se fait-il que la France n’ait plus eu de grand écrivain, depuis Corneille ? ».
Naturellement, Bennett plaisantait, ayant même choisi l’auteur du Cid (suivez mon regard) plutôt que l’incomparable Racine par exemple, ce qui sentait sa farce irlando-britannique. Mais Michel ne l’entendit pas de cette oreille (et ce n’est qu’à la réflexion que je me demande enfin s’il n’avait pas raison, quant à l’intention véritable de Bennett…). Il ajouta, curieusement : « Vous savez, moi aussi, je suis un peu d’origine gitane, et j’ai le sang chaud ! ». A quoi Bennett rétorqua, mi-figue mi-raisin mais tenant à assumer sa morgue : « Pas moi, cher ami, pas moi ; il n’y a pas que des Gitans en Espagne, figurez-vous… »

 

   Nous étions une poignée d’amis autour de cette table et, mi riant, mi effrayés par l’énormité que le poing de Michel semblait prêt à commettre, nous tâchâmes de le calmer : « Allez, Michel, tu vois bien que Juan plaisante ! » dîmes-nous en chœur, Jacques Roubaud, Florence Delay et moi-même.
Il se calma ; mais on put s’apercevoir qu’un Vendéen pouvait à tout moment franchir l’estuaire de la Loire et se retrouver flibustier patenté de Saint-Malo.

 

   Toutefois, j’y reviens, les choses sont plus compliquées, en ce qui concerne la vraie nature de Chaillou. Fougueux, bouillant, à l’image de son apparence, il est en fait, j’allais dire en secret mais ce n’en est un pour personne et il ne s’en cache pas le moins du monde, un angoissé doublé d’un anxieux, et aussi quelqu’un qui, sous son apparente assurance, doute en permanence. Et c’est à tout moment que l’on peut voir le front de notre capitaine Fracasse, allias Cyrano de Bergerac, se couvrir de cette sueur révélatrice, qui n’est pas un signe de peur mais une manifestation d’anxiété, comme si l’univers entier s’était métamorphosé en une seule et englobante menace.
 

   Prenons deux exemples.
 

  On rencontre Michel, dont l’air soucieux nous alerte (enfin, nous alertait, car cela fait longtemps qu’on sait interpréter ce signe, qui est en fait un bon signe). De but en blanc, il vous dit : « Je suis en galère ; je suis en train d’écrire un livre ; je me demande si je vais arriver au bout ; c’est un boulot de forçat ; je n’en dors plus ! ».
Bon, si ça lui coûte tant, à Michel, d’écrire un livre, alors, il n’a qu’à en écrire moins souvent, ou de plus minces ! Mais non, il les écrit les uns après les autres et tous plus gros les uns que les autres ! Est-ce du masochisme ?
Et puis, enfin, à Michel, est-ce que, par hasard, ça ne lui procurerait que de tels soucis, d’écrire ? Est-ce que, sous tout cela, une veine sourde de plaisir ne viendrait pas le faire en secret frissonner de jouissance ? On lui dit ce qu’on en pense, gentiment, parce qu’on éprouve de l’affection pour lui.
--« Tu parles ! Je sais bien que vous, vous écrivez tous comme vous respirez, sans presque y penser ! Moi, j’ai d’abord été ouvrier, avant de devenir universitaire ; je sais ce que c’est que de bosser ; et qui me dit que ce ne sera pas un navet, mon bouquin, hein ? »

 

   Certes personne. Mais est-ce bien là la question ? Des navets, nous en produisons à la louche, en publions sans vergogne. Et après ? Cela nous rend-il malades ? Cela nous empêchera-t-il d’écrire le suivant ? On écrit pour se faire plaisir, pour jubiler un peu, quoi. Les navets, mélangés à du piment, à d’autres légumes, ou à je ne sais plus quel volatile au goût raffiné, ça n’est pas si terrible à ingurgiter ! Ca ne mange pas de pain, comme on dit, le navet. A Michel, si, ça retire le pain de la bouche, ça lui coupe l’appétit, ça le projette au troisième sous-sol de son moral jamais tout à fait fringant.
 

   Alors, deux fois sur trois, quand on tombe sur lui entre le carrefour Port-Royal/Montparnasse et, mettons, la librairie Tchou (car la place Saint-Michel, c’est le bout du monde), c’est la même chanson : il est une fois de plus condamné au bagne ; la vie est un long fleuve d’intranquillité, dont les rives sont peuplées de Peaux-Rouges criards, qui ne font rien que de le prendre pour cible, lui, pauvre petit Vendéen de la chanson du Petit homme haut comme une huche à pain !
Il a beau être toujours sorti victorieux de son combat avec ce salaud de livre en gestation, rien n’y fait ; cette fois, il en est sûr, ça ne va pas marcher : soit il ne le finira pas, soit il ne plaira pas à l’éditeur, soit la presse s’en battra l’œil, soit les lecteurs le jetteront à la poubelle en se pinçant le nez !
Sacré Michel !

 

   Et ce n’est pas tout. Il n’y a pas que le livre ; il y a aussi l’avion. Ah, l’avion ! Parlons-en, de l’avion…
Michel a peur en avion. Ou plutôt, il a peur d’être en avion Enfin, soyons plus précis : Michel refusait de prendre l’avion, partant du principe, en effet des plus raisonnables, qu’une masse de plusieurs centaines de tonne ne pouvait objectivement pas tenir en l’air par l’opération du Saint Esprit. Un jour, il n’osa pas refuser la proposition qui lui fut faite d’aller aux Etats-Unis, passer un semestre comme professeur invité de littérature française contemporaine. L’idée d’effectuer la traversée par le chemin et avec les moyens utilisés autrefois par Eric le Rouge étant à écarter, nul drakkar n’étant disponible et le kayak des esquimaux n’offrant que de précaires conditions de sécurité, il dut passer outre sa juste panique et ses rationnels soupçons.

 

   Les cargos mixtes mettant mille ans à rejoindre la côte est, et les paquebots ne distillant plus que, de loin en loin, de fort coûteuses croisières, le sort en était jeté. Ainsi, entre le « Que d’eau ! Que d’eau » fameux et le non moins célèbre « Alea jacta est ! », les pages roses du Petit Larousse lui dictèrent la loi de la raison.
Il prit donc l’avion, deux fois même : à l’aller et au retour. Ce furent les deux seules fois où il accepta de se soumettre à cette épreuve auprès de laquelle la crucifixion, qui dura certainement moins longtemps, n’était qu’un plaisant jeu sado-masochiste.
On lui explique que l’avion est fait pour voler, on lui donne le détail des raisons pour lesquelles son poids n’est en aucune façon un handicap, ajouter que les accidents d’avion sont rares, rien n’y fait. D’abord, quoique rares peut-être (encore que, rares, rares, ouais, il faut voir…), ils sont toujours (« toujours, tu m’entends ? Toujours ! ») mortels à cent pour cent.
Alors Michel refuse toute invitation nécessitant de recourir aux services empoisonnés d’un aéroplane.

 

   Adepte fervent du plancher des vaches, il a une fois pour toutes tiré les leçons prodiguées par la mythologie grecque, laquelle, en recourant aux services emblématiques de l’image tragique d’Icare, a mis en garde l’humanité contre le risque qu’il y aurait pour elle à se prendre pour un ichtyosaure ou pour une coquecigrue. Même si le plancher des vaches, c’est plutôt le territoire réservé de son ami, notre ami commun, Jean-Loup Trassard, qui sait admirablement en parler, et jamais à la légère, il a décidé de se solidariser avec ce bon sens terrien inauguré par les petits péquenauds du Néolithique et analysé rêveusement par l’historien inspiré de la géographie que fut Gaston Roupnel.
 

   « Terre ! Terre ! », crie notre Surcouf cheveux au vent ; et de toute part en effet, il n’y a qu’elle, exactement semblable à ce qu’en avait dit la carte du Tendre, dont il s’était inspiré lorsqu’il se mit en route.
Il a les pieds sur terre et le moral dans les talons ; alors forcément, il le foule du pied, et ça ne peut pas aller comme ça, mais alors pas du tout…

Tag(s) : #Récit
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