Ce bout de route
devant moi
plus proche de la nuit
la vraie
la véridique
l'incontournable
Je ralentis le pas
Je fais semblant
d'admirer le paysage
Ruse de vivant
J'y crois
et n'y crois pas
L'arrêt en si bon chemin
quand la lumière enfin
est en visite
pas au chevet
mais au berceau de l'être
Faire provision de cette lumière
la porter à la bouche
de l'enfance
de l'adolescence
de l'âge mûr
En garder un peu
pour l'instant où les yeux
bêtements ouverts
seront refermés
par la plus douce
des mains amies
Surtout
ne pas se retourner
Il n'y a pas de nuit
qu'on ne puisse affronter
Il n'y a pas de ténèbres
sans ligne d'horizon
Quitter
ne sera pas
la première déchirure
ni le premier scandale
Est-ce vraiment
l'ultime exil ?
Je me dis
qu'il faut être prévoyant
Je ferai donc à temps
mon humble valise
Un ou deux livres
mon numéro matricule
le foulard jaune
de la prophétesse de mes jours
une fiole
des senteurs de Fès
un zeste d'orange amère
un caillou
ramassé à Jérusalem
et ce que l'aimée
à mon insu
y aura glissé
Ah si la sérénité
pouvait être au rendez-vous
Quitter alors
serait
un acte de générosité
Je me retourne vers toi
peur immémoriale
Sur ton visage lisse
je découvre comme un reflet
du sourire inexplicable
qui m'a toujours accompagné
De te sentir ainsi percée
tes traits se durcissent
J'en suis rassuré
Cela dit
c'est de persister qu'il s'agit
Ne pas oublier
le feuillage ayant cette vertu
les astres inexplorés
qui naviguent à vue
sur les flots de l'éternité
Protéger de ses poèmes nus
la flamme de la petite bougie
Supporter la brûlure
de ses larmes
et savoir à temps
la passer au suivant
Brûler de l'intérieur
ou sur un bûcher
Semblable l'offrande
même s'il y a questions
et Question
Le terme
le commencement
dans le cœur des hommes
cette libre patrie
où nous n'aurons plus besoin
pour nous désigner
que d'un seul nom
où notre filet de voix
sera audible dans les galaxies
où la Promesse
aura des accents de serment
Dépêchons !
La vie n'attend pas
Même innocents
du sang de notre prochain
il nous arrive
de tuer
la vie en nous
Plusieurs fois
plutôt qu'une
Le voile
qui nous recouvre les yeux
et le cœur
Les barricades
que nous dressons
autour du corps suspect
La lame froide
que nous opposons au désir
Les mots
que nous achetons et vendons
au marché florissant du mensonge
Les visions
que nous étouffons dans le berceau
La sainte folie
que nous enfermons derrière les barreaux
La panique
que nous inspirent les hérésies
La surdité
élevée au rang d'art consommé
La religion
largement partagée
de l'indifférence
Bien des messagers
frapperont encore à notre porte
Y aura-t-il quelqu'un
dans la maison ?
Dites-moi
vers quel néant
coule le fleuve de la vie
C'est quand
la dernière fois
que vous vous y êtes baignés ?
Poèmes écrits par Abdellatif LAÂBI en pensant à son ami trop tôt disparu le peintre Mohamed Kacimi dont le dernier projet était la réalisation d'un livre à deux mains peinture / poésie... L'artiste et le poète s'interrogeaient sur la mort approchant...
Editions Al Manar 2004 / 16 Euros.