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   Je n'ai garde d'oublier que si la joie appelle le partage, la souffrance également. Devant l'énigme ou le scandale de la souffrance,  celui qui souffre espère aide et compréhension. Se révèle à lui une vérité fondamentale : le fait que  chaque  être  est  unique  ne  l'isole  nullement dans un écrin exceptionnel. Un être ne saurait être unique si les autres ne le sont pas. L'être en question ne serait alors qu'un échantillon bizarre. L'unicité de chacun implique qu'elle est un fait universel. Force nous est de constater ce paradoxe : l'unicité a à voir avec l'universalité. Un paradoxe qui n'en est pas un, au contraire, il est dans la logique des choses, car plus on est unique soi-même, plus on doit avoir le sens de l'autre en tant qu'unicité, et plus on est capable d'accorder à l'autre respect et valeur. C'est même là la base à partir de laquelle naît la possibilité de l'amour. Celui qui se sachant unique s'enfermerait dans l'égoïste orgueil ne serait qu'un monstre contre-nature. La souffrance  seule  peut  éventuellement l'arracher à sa vanité illusoire. Sur le plan moral, la souffrance peut nous dispenser une autre leçon. Au cours d'une vie, il y a des blessures qu'on peut recevoir, tout comme il y a des blessures qu'on peut, volontairement ou non, infliger aux autres. Voir de graves fautes commises à leur égard. Blessures ou fautes parfois aux conséquences terribles, irréparables, qui nous plongent dans le remords et le besoin de demander pardon. En général, c'est trop tard ou hors du pouvoir humain. Là encore, on se trouve en présence d'un paradoxe : celui qui a ainsi l'âme ravagée, tentée par le rachat, est à même de pénétrer dans le royaume à dimension universelle, celui de la pitié sans limite où communient les âmes de toutes les victimes innocentes disparues dans l'effroi du délaissement total.

 

   Je ne risque pas d'évacuer de ma mémoire ceux qui ont quitté ce monde, les êtres connus de moi qui m'étaient devenus chers, les êtres inconnus de moi dont j'ai appris l'existence. Tous ont pour trait commun l'ardent amour de la vie. Après avoir vécu dans l'élan, ils ont quitté ce monde, les uns dans le consentement apaisé ou dans un sourire déchirant adressé aux leurs, les autres dans d'affreux délaissements ou d'atroces souffrances. Tous, en partant, provoquent chez les vivants du chagrin et un irrépressible besoin de communion. Il arrive ce fait étrange : si la mort  creuse  un immense  champ  de  désolation, elle ouvre en même temps une immense aire de communion, aussi réelle que le ciel étoilé. Communion d'âmes aimantes et aimantantes, communion des saints. Oui, communion des saints, cette formule juste contient sans doute la mystérieuse clé de la Vie, puisque au sein de cette communion sans limite et sans fin, la mort s'est dissoute, abolie.

 

 

François CHENG

de l'Académie française

in   "DE L'ÂME"

Editions Albin Michel

 

 

 

 

  

 

  

 

photo André Campos Rodriguez

photo André Campos Rodriguez

Tag(s) : #spiritualité
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