J'ai lu pour vous Thierry Pérémarti

  "L'absence intérieure", juillet 2015 - juin 2016, de Thierry Pérémarti, éditions Gros Textes, 2018.

   C'est désormais le grand retour de ce poète qui avait disparu des radars du petit monde de la poésie, et qui avait fait paraître une quinzaine de recueils entre 1976 et 1992... (Il faut tout de même signaler l'édition d'un ouvrage en 2009 sur les musiciens de jazz qu'il a côtoyés : Visiting Jazz aux Éditions Le Mot et le reste.)... Avec le livre ici présenté, est aussi à paraître cette année : Présence éveillée des fissures suivi de Énonciation du vide aux Éditions Abordo.

   Originaire de Bordeaux, Thierry Pérémarti est aussi journaliste de jazz. Il a émigré aux États-Unis en 1985, a vécu à New-York, Los Angeles et réside maintenant depuis dix ans à Dallas, au Texas, d'où il m'envoie ce beau petit livre de 146 poèmes - qui ont été composés par les éditions Gros Textes dans leur cave de Fontfourane (05380 Châteauroux-les-Alpes)  dans les Hautes-Alpes !  Quel parcours ! ***

   Il s’agit en fait d’un livre où les poèmes numérotés de 1 à 146 ont été gardés et publiés exactement dans leur ordre chronologique. Ce qui justement correspondait bien à la manière dont ils avaient vu le jour, l’un après l’autre avec le souci et la rigueur d’avancer, de mettre à plat, de questionner.... Le poète m'a confié lors d'un échange épistolaire que, bien évidemment, il avait écarté quelques poèmes de cet ensemble, car leur intérêt était moindre  ou semblaient poser un problème d’intégrité par rapport à l’ensemble de son recueil. Ainsi, les poèmes se présentent  au lecteur, exactement comme ils ont pu se révéler à l'auteur lui-même, dans le surgissement même, dans un élan vital, pur, essentiel, incomparable... Il s'agit "entre autres choses aussi de l'amour, difficile dans son partage, dans ce qu'il donne et reçoit quelques fois" (T.P.).  

   Dès que l'on s'aventure quelque peu dans cette ensemble, l'on s'aperçoit bien vite que la langue de Thierry est belle, parée d'une élégance et d'une spontanéité lyrique, avec parfois des accents tragiques, mais un rythme musical constant - celui du jazz ? -  haletant même par moments, allitérations et assonances s'y disputent quelques fois l'avant-scène... Les images sont précises, charnelles, recherchées... Pour vous en donner une idée, me vient un peu au hasard ce poème 62 que j'aimerai vous présenter convenablement :

où va-t-on

débarrassés de nos songes

les plus amers

cou tendu

et bras ouverts

de quel voyage

s'agit-il

pour se perdre

de quel sommeil

de quelle fièvre

qui donc nous a montré

ce chemin

d'où on ne revient pas

à se retourner ne voit-on rien

qu'une lueur aléatoire

que d'aucuns avaient

mise là

où va-ton

une perle de sang perdue

à la boutonnière

qui donc nous fera signe

une fois rendus

ou se taira

pour nous laisser aller

   Angoisses, don à l'autre et de l'autre, tortures, car se rejoindre est, par temps obscur, difficile : " 3 / dans la chair bleue / de la nuit / le temps aura-t-il / raison de nous // la part du vide nous / rappelle à l'ordre / la chaleur de l'autre / fertile jusqu'au petit jour // (...) ma bouche de pierre / pour habiter tes lèvres encore / ma vie nue pour la tienne / partage de sève chaude". Vœux et souhaits accompagnent cet échange : " 5 / que mon amour t'accompagne / t'enivre te porte illimitée / où que tu respires / mais sans un mot / de plus que ne dit le poème. La partenaire aussi exprime ses désirs dans la beauté de l'érotisme : " 14 (...) // que nos corps se confondent dit-elle / dans la machinerie des draps / que tu viennes en moi / comme sur le monde la lumière". On cherche "à ne plus miser / sur l'éphémère", à  être malgré tout rassurés : "on attrape au vol / des moments insensés / de bonheur // à y regarder de près / on serait presque heureux" . Mais il semble, si j'ai bien lu, qu'il y ait des ruptures, des éloignements, des séparations : " 65 / /(...) nous avons investi / les fissures de ce qui nous précède / demain il faudra // s'en tenir / au recommencement / à la cordialité de l'oubli" .

   Terminons le survol de ce recueil si riche par le poème 102 :

ce que tu m'as légué

en ton absence

sévit

en silence

aux aguets

dans l'attente

de nos corps retrouvés

du retour de ton ventre au mien

sur ma peau

le voilage naufragé

de tes seins chavirés

si longtemps

suffisamment d'existence

entre tes lèvres s'ouvrant

pour s'arracher au monde

d'un baiser

perdu dans le baiser

qui le précède

du retour de tes jambes aux miennes

du retour de tes yeux

à mes yeux et le chant

de nos sexes

si profonds aboutés

peut-être avons-nous jamais

cessé d'énoncer au matin

nos bouches

dans la faim émue

de la foi d'aimer

   Je ne saurais trop vous recommander de vous procurer ce livre de poème magnifique, de sève et de vies écorchées, vies incarnées, charnelles, en une sincérité, une beauté, une vérité qui nous "appelle / à l'insenti qui nous échappe" !

André Campos Rodriguez  

  Éditions Gros Textes / Fontfourane / 05380 Châteauroux-les-Alpes. 8 Euros + Frais de Port ...

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   *** D'ailleurs, il s'y passe de drôles de choses bien insolites là-bas ! Il y a L’épicerie littéraire qui est une émanation de la revue et des éditions Gros Textes (maison d’édition associative qui publie des livres - essentiellement de poésie - de façon artisanale depuis 1991). L’épicerie est donc attachée à la petite édition et à la poésie (d’où un important rayonnage d’ouvrages de poésie, de théâtre et d’autres genres mineurs d’un point de vue économique dans cette boutique)... Quelques produits locaux sont également proposés à la vente. Ils proviennent de producteurs amis (farine, vin, miel, conserves de truites…) ou d’action solidaire (huile de Palestine). Outre environ 5000 ouvrages d’occasions et quelques livres neufs issus de la petite édition proposés à la vente, on trouve également à l’épicerie un rayon d’ouvrages militants destinés au prêt ainsi que nombres d’informations sur l’association.